Jeudi, un tribunal allemand a condamné le haut responsable des services de renseignement syriens, Anwar Raslan, pour 27 chefs d’accusation, dont celui de meurtre, découlant de ses actions dans le cadre du système de détention violent du régime syrien. Raslan a été impliqué dans de nombreux cas d’agression sexuelle et de torture de plus de 4 000 personnes dans une prison de Damas gérée par l’unité de renseignement militaire Branch 251. Sa condamnation a été rapidement saluée par d’innombrables survivants des répressions gouvernementales durant le carnage en Syrie, ainsi que par des défenseurs internationaux des Droits de l’Homme tels que Michelle Bachelet, haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l’Homme.
Mme Bachelet a explicitement exhorté d’autres États à suivre l’exemple de l’Allemagne en appliquant le principe de la compétence universelle afin que des personnalités puissantes soient tenues responsables des violations des Droits de l’Homme commises en Syrie et dans d’autres endroits où l’application de la justice au niveau national est improbable. « Le verdict d’aujourd’hui devrait servir à stimuler tous les efforts visant à élargir le filet de la responsabilité », a-t-elle déclaré dans un communiqué jeudi. Elle a ajouté : « Cette condamnation a mis les autorités de l’État en garde : où que vous soyez et quel que soit votre rang, si vous commettez des actes de torture ou d’autres violations graves des Droits de l’Homme, vous devrez en répondre tôt ou tard, dans votre pays ou à l’étranger. »
Le principe de compétence universelle permet à l’autorité judiciaire de pratiquement n’importe quelle nation de détenir sur son sol des personnes accusées de violations graves des Droits de l’Homme, même si ces crimes ont eu lieu entièrement ailleurs. Les victimes syriennes du régime d’Assad avaient précédemment exprimé l’espoir que Raslan et d’autres personnes soient jugées par la Cour pénale internationale, mais la compétence universelle offre une voie alternative à la responsabilisation dans les cas où des poursuites véritablement internationales sont rendues improbables par la nécessité d’une résolution préalable du Conseil de sécurité des Nations unies.
Étant donné que les cinq membres permanents de cet organe ont chacun un droit de veto sur les résolutions proposées, il est intrinsèquement difficile d’engager des poursuites devant la CPI contre des personnalités qui ont des liens importants avec un ou plusieurs de ces États. Ce même facteur de complication a été observé dans le cadre d’efforts similaires visant à faire en sorte que les auteurs présumés d’atteintes aux Droits de l’Homme dans d’autres pays, comme l’Iran, aient à répondre de leurs actes.
De nombreux détracteurs du régime iranien ont spécifiquement fait la promotion de la compétence universelle comme moyen d’obtenir cette responsabilité. Parmi eux, on trouve des militants associés au principal groupe d’opposition démocratique iranien, l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI), et sa coalition mère, le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI). Le CNRI a organisé de nombreux rassemblements et conférences au cours des derniers mois afin de demander justice pour les victimes d’un massacre de prisonniers politiques qui a eu lieu il y a plus de 30 ans.
Environ 30 000 prisonniers politiques, pour la plupart des membres de l’OMPI, ont été systématiquement exécutés au cours de l’été 1988, à la suite de la mise en œuvre d’une fatwa du Guide Suprême de l’époque, Ruhollah Khomeini, qui déclarait que l’opposition organisée au régime était un exemple d' »inimitié contre Dieu », et donc passible de mort. Le massacre de 1988 a toujours été un sujet de militantisme pour le CNRI et d’autres défenseurs des Droits de l’Homme, mais il a pris encore plus d’importance l’année dernière lorsque Ebrahim Raïssi, une figure de proue des « commissions de la mort » qui ont supervisé ce massacre, a été nommé nouveau président du régime des mollahs.
Les récents rassemblements du CNRI ont expressément demandé aux Nations unies de lancer une enquête officielle sur le massacre de 1988, en vue de préparer le terrain pour la poursuite des auteurs connus, y compris le président actuel. Entre-temps, la pression exercée sur les différents États membres des Nations unies a apparemment empêché Raïssi de se rendre en Europe, par crainte d’être arrêté sur la base de la compétence universelle.
Si cela devait se produire, ce ne serait que le deuxième cas où un participant au massacre de 1988 serait confronté à de véritables conséquences juridiques. Si cela devait se produire alors que Raïssi est toujours en fonction, ce serait la première fois qu’une telle mesure serait prise à l’encontre d’un responsable iranien en exercice. La précédente arrestation a été effectuée par les autorités suédoises en 2019, après que l’ancien responsable iranien des prisons Hamid Noury est arrivé dans le pays scandinave pour une visite. Noury a été inculpé pour crimes de guerre et meurtres de masse l’année dernière seulement, et son procès est toujours en cours. Il devrait connaître un épilogue en avril.
Les militants des Droits de l’Homme et les dissidents iraniens ont exprimé beaucoup d’optimisme à propos de l’affaire Noury et de son potentiel à déclencher une tendance plus large à la responsabilisation des auteurs du massacre de 1988, d’autres crimes iraniens contre l’humanité et d’autres crimes contre l’humanité en général. La condamnation d’Anwar Raslan contribuera sans aucun doute à cet optimisme.
« Il s’agit d’un exemple clair de la manière dont les tribunaux nationaux peuvent et doivent combler les lacunes en matière de responsabilité pour de tels crimes, où qu’ils aient été commis, par le biais d’enquêtes et de procès équitables et indépendants menés conformément aux lois et normes internationales en matière de Droits de l’Homme », a déclaré Mme Bachelet dans le communiqué de jeudi.
À cette observation concernant le cas de Raslan, on pourrait ajouter que l’affaire Noury souligne la capacité des tribunaux nationaux à « combler les lacunes en matière de responsabilité » non seulement là où un crime contre l’humanité a été commis, mais aussi à tout moment. Il n’y a évidemment pas de prescription pour un tel crime, et il ne faut pas s’attendre à ce que les victimes ou leurs familles se taisent même si des décennies se sont écoulées depuis qu’un massacre ou une autre violation des Droits de l’Homme à grande échelle a eu lieu. Si la communauté internationale est prête à prendre des mesures contre les abus récents en Syrie, il ne devrait pas être beaucoup plus difficile de faire de même avec les abus commis il y a longtemps en Iran.
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