samedi 10 février 2024

Le bond en avant des Iraniennes dans la Révolution de 1979

 Le bond en avant des Iraniennes dans la Révolution de 1979

L’anniversaire de la révolution antimonarchiste de 1979, est un rappel du rôle des femmes iraniennes dans le long combat qui a contribué à ce grand tournant de l’Histoire de l’Iran.

L’Histoire écrite par les hommes passe sous silence les luttes menées par la Femme dans les 150 dernières années dans ce pays. Les témoignages qui restent de ce combat ne sont qu’une poignée de documents qui ont survécu à la censure des dictatures et des intégristes. N’empêche que ça en dit déjà long sur le rôle des femmes aussi bien dans l’art que la science, ainsi que dans le combat politique depuis la révolution constitutionnelle de 1906 jusqu’à nos jours.

Cette volonté des femmes malgré et contre toutes les contraintes, est le plus grand critère du progrès de toute société.

Les émeutes qui ont conduit à la chute de la dictature du Chah en 1979 sont marqués par une présence de grande envergure des femmes dans ce mouvement. L’introduction des femmes dans ces émeutes est alors due aux luttes des deux principaux groupe d’opposition, les Moudjahidine du peuple et les Feddayin du peuple, ainsi qu’un phénomène très proche de celui des « Mères de la Place de Mai » déclenché par les mères des opposants assassinés.

Rares sont les femmes qui dans les années 60 et 70, rejoignent les rangs des organisations qui mènent une lutte sous-terraine contre la dictature. Ces Icônes vont alors laisser un large impact sur les milieux intellectuels et universitaires.

Nous allons ici tracer une brève biographie de deux femmes, l’une appartenant aux Moudjahidine, l’autre aux Feddayin du peuple, qui se sont entièrement consacrée à la démocratie en Iran.

Fatima Amini

Elle a commencé ses activités politiques en constituant une Association des femmes progressistes. Au terme de ses études universitaires, Fatima Amini s’est engagée dans le corps enseignant, avant de rejoindre les rangs des Moudjahidine du peuple.

En 1971, ce mouvement est démantelé par la Savak (la police politique du Chah) et plus de 90% de ses  membres sont incarcérés, beaucoup sont exécutés.

Fatima se charge alors d’une campagne de dénonciation et de protestation des familles des opposants arrêtés qui fera rapidement tache d’huile. Ceci lui vaudra d’être arrêtée à son tour, le 3 mars 1973.

Elle subit alors les pires sévices en prison, pendant cinq mois et demi. Elle avait été tellement fouettée et brûlée qu’il était impossible de déceler une partie de son corps qui soit à l’abris des séquelles laissées par ces tortures. Brûlée dans le dos par un fer à repasser, elle sera paralysée des deux pieds.

Pendant tout ce temps, elle passe d’une prison à l’autre, de la prison d’Évine à celle du « Comité commun de la lutte anti-sabotage » de la Savak ou encore celle de la police, sans que les tortionnaires puissent lui extraire la moindre information. Elle ne révélera même pas son nom, se contentant de se présenter à chaque fois comme « un membre des Moudjahidine du peuple », avant d’être achevée sous la torture, le 16 août 1975. Elle a été la première femme du mouvement des Moudjahidine du peuple qui a perdu la vie dans la lutte contre la dictature du Chah.

Mehrnouche Ebrahimi

Née en 1947 dans un village de la province de Babol (nord), cette étudiante en médecine rejoint les rangs des Feddayin du peuple, deux ans après son entrée en université. Elle mène une double vie jusqu’en 1971, conciliant son travail dans un hôpital à ses activités politiques, avant d’entrer en clandestinité et devenir un agent de liaison pour les réseaux des Feddayin qui agissaient dans les villages.

Elle finit par être repérée par la Savak qui attaque la maison où elle se trouve avec une autre militante du mouvement. C’est au cours de cet assaut que Mehrnouche perdra la vie, devenant la première femme martyre de son mouvement.

 

La large présence des femmes aux manifestations contre le Chah

Dans les années 1970, ce sont les mères et les familles des prisonniers politiques et des opposants qui ont perdu la vie dans leur lutte contre le Chah, qui commencent à motiver la population dans leur opposition à la dictature. On les connaît alors sous le nom des « mères des martyrs » qui se font remarquer par les sit-in qu’elles organisent devant les prisons pour exiger la libération de tous les prisonniers politiques. Cet esprit de tenir tête à la dictature commencera à faire tache d’huile dans toute la société.

Elles ont servi de sources d’inspiration à de nombreuses jeunes femmes qui participeront aux soulèvements de 1979 contre le pouvoir du Chah.

Ce flot sans précédent de lycéennes et d’étudiantes qui rejoignent la grogne a marqué un bond en avant pour les femmes sur la scène politique iranienne. Elles s’affichent alors comme un potentiel naissant doté d’un grand impact ; un élan qui n’est pas prêt à s’arrêter.

Les opposantes de première heure du régime intégriste

Aussitôt après la victoire de la Révolution, un grand paradoxe s’empare de la société iranienne. L’élan des femmes pour une participation de plus en plus remarquée à la vie politique et sociale du pays est inconciliable avec le nouveau régime fondé par l’Ayatollah Khomeiny qui affiche rapidement des mesures qui vont à l’encontre des droits des femmes.

Le califat instauré par Khomeiny tentera dès les premiers jours de soustraire la femme de la vie sociale et politique et de la limiter le plus possible, notamment par des lois comme le port obligatoire du voile.

C’est ce paradoxe qui donnera naissance à un nouvel élan de résistance dans les femmes qui commenceront à s’opposer au pouvoir intégriste dès les premières semaines qui suivirent son instauration.

Le 26 février 1979, à peine deux semaines après la victoire de la révolution, le bureau de Khomeiny a publié un décret de celui-ci, annonçant l’abolition de la loi sur l’aide sociale accordée à la famille. Le 3 mars, c’est le journal Kayhan qui annonce l’abolition de la loi de l’aide sociale accordée aux femmes, ajoutant que cette décision avait été prise dans le cabinet, le 27 février.

Le 9 mars, des milliers de femmes se sont rassemblées devant le Palais de la justice à Téhéran pour protester contre la loi sur le port obligatoire du voile et contre l’abolition des aides sociales. La manif est brutalement réprimée par les sbires du nouveau régime.

Les Moudjahidine contre les contraintes vestimentaires

Le 11 mars 1979 les Moudjahidine du peuple s’opposent publiquement à la déclaration de Khomeiny sur le voile obligatoire. « Toute mesure brutale tentant à imposer de force toute forme de voile aux femmes iraniennes serait irraisonnable et impopulaire », annonce un communiqué du mouvement qui rappelle que « le message de notre Révolution ne pourrait aller que dans le sens de la liberté et de l’émancipation de toutes les couches de la société, sans exception des sexes, des ethnies, des couches et des opinions différentes ».

« Notre révolution ne peut tolérer la moindre ambiguïté ni le moindre rejet en ce qui concerne les droits juridiques, politiques et sociales de la Femme » ajoute encore le communiqué des Moudjahidine du peuple.

Nouvelle ère de lutte

Cette confrontation des Moudjahidine à Khomeiny sur les droits de la Femme, leur vaudra un afflux de nouvelles militantes. Dans les coins et recoins des villes iraniennes on assistera à une nouvelle présence de jeunes femmes qui tiennent tête aux miliciens qui tentent d’intimider les opposants en attaquant systématiquement les meetings à coups de matraque. Ces femmes sont de plus en plus présentes dans la rue, où elles organisent des stands de ventes des revues de l’opposition.

Cette nouvelle génération des femmes va entièrement modifier le paysage des villes de l’Iran et briser de nombreux tabous de la société.

Le 20 juin 1981, l’Ayatollah Khomeiny donne l’ordre d’ouvrir le feu sur une immense manifestation des Moudjahidine du peuple. C’est le début de la période de « la terreur noire » où les opposants sont pris, incarcérés, torturés et exécutés en masse. Parmi eux on retrouve encore de nombreuses femmes qui se trouvent en première ligne de résistance contre les excès de la dictature religieuse. C’est ce rôle qui emmènera les femmes à la tête du principal mouvement de résistance anti-intégriste en Iran.

Si l’Iran des ayatollahs reflète aujourd’hui l’image d’une répression systématique et brutale de la Femme, en contrepartie, ces résistantes représentent l’identité réelle de l’Iranienne qui continue de jouer un rôle de choix dans les émeutes actuelles.

Il ne s’agit donc pas d’un phénomène spontané : c’est le fruit de 150 années de la lutte des femmes en Iran pour les idéaux de liberté et d’égalité, dans la continuité de laquelle, le régime intégriste verra sa disparition.

Source: CNRI Femmes 

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