mardi 14 octobre 2025

De la défense à la punition : le cas de Mohammad Najafi - Symbole de l’effondrement de l’indépendance judiciaire en Iran

 Nouvelle affaire judiciaire : interrogatoire d’octobre 2025

Le 6 octobre 2025, alors qu’il purgeait toujours sa peine à la prison d’Evine, l’avocat des droits humains Mohammad Najafi a fait l’objet d’un nouvel interrogatoire tenu in absentia devant la branche 3 du parquet du district 33 (Shahid Moghaddas) à Téhéran.

Dans cette nouvelle affaire, il est accusé de « propagande contre le régime », de « diffusion de fausses informations » et d’« insulte au Guide suprême ». Une caution d’1,1 milliard de tomans a été fixée en son absence. Il s’agit de la sixième procédure judiciaire ouverte contre M. Najafi depuis son emprisonnement — preuve que même l’incarcération ne le protège pas du harcèlement judiciaire continu.

Souffrant de diabète sévère, de complications cardiaques et d’une atteinte discale, Mohammad Najafi est privé de soins médicaux tout en subissant de nouvelles poursuites. Dans une lettre écrite depuis sa cellule, il déclarait :

« Je me suis tenu du côté du peuple ; mon crime est d’avoir défendu les manifestants et les familles des victimes. »

Ces mots résument son parcours : de la défense à la punition.

Les débuts : un avocat qui disait la vérité

Né en 1975 à Shazand, dans la province du Centre, Mohammad Najafi fut l’un des premiers avocats à défendre courageusement les manifestants après les soulèvements de décembre 2017. À la suite de son enquête sur la mort suspecte de Vahid Heydari au poste de police n°12 d’Arak, Najafi fut arrêté. Alors que les autorités prétendaient qu’il s’agissait d’un suicide, il rassembla des témoignages prouvant que Heydari était mort sous la torture.

Cet acte de vérité marqua le début d’une persécution sans relâche. Au cours des sept dernières années, Najafi a fait face à six procédures distinctes comprenant 14 chefs d’accusation, totalisant plus de 21 ans de prison, 74 coups de fouet et des amendes. Chaque fois qu’une peine arrivait à son terme, une nouvelle affaire était ouverte contre lui — un schéma clair de répression visant à réduire au silence les avocats indépendants.

La radiation définitive : faire taire la voix de la justice

Le coup final porté à sa carrière survint le 22 décembre 2024, lorsque la Haute cour disciplinaire des juges prononça sa radiation définitive du barreau. Cette procédure avait débuté en mars 2020 à la suite d’une plainte politique. En janvier 2024, le tribunal disciplinaire du barreau central avait décidé d’abandonner les poursuites, mais le procureur général du barreau fit appel, transférant l’affaire à une instance sans compétence sur les avocats.

Depuis sa cellule, M. Najafi écrivait :

« Dans l’abattoir de la justice, les dirigeants du barreau central se sont faits complices ; l’audience disciplinaire s’est tenue illégalement au tribunal révolutionnaire d’Arak. »

Ces mots illustrent une tragédie structurelle : l’institution censée protéger les avocats s’est transformée en instrument de répression.

La forteresse effondrée de la profession juridique

Dans une autre lettre, Mohammad Najafi décrivait le barreau iranien ainsi :

« Le barreau d’Iran — comme l’Iran lui-même — un noble nom et une forteresse en ruine. »

Cette métaphore résume à elle seule la crise de la justice en Iran. L’indépendance du barreau, l’un des piliers de la justice, s’est effondrée. Ces dernières années, nombre d’avocats indépendants ont été emprisonnés ou suspendus. Pourtant, par sa détermination et ses lettres depuis la prison, Mohammad Najafi est devenu un symbole de la résistance juridique.

« Le régime ne tolère aucun individu ou institution indépendante — ni juges, ni avocats. L’indépendance des deux est essentielle à la justice, et je reste aux côtés du peuple. »

Une conscience emprisonnée : souffrance et résistance à Evine

Actuellement détenu dans le quartier 4 de la prison d’Evine, Mohammad Najafi voit sa santé se détériorer gravement. Il souffre de diabète, hypertension, maladies cardiaques et troubles de la vision.

En juin 2025, son médecin a averti qu’il perdrait la vue sans des injections oculaires mensuelles. Les autorités pénitentiaires ont refusé tout transfert à l’hôpital.

En novembre 2024, il s’est évanoui en se rendant à une visite familiale et, bien qu’hospitalisé, il a été renvoyé en prison avant la fin de son traitement. Selon une source proche de sa famille :

« Malgré la faiblesse physique, Mohammad continue d’écrire. Il dit que sa plume est sa seule arme pour la justice. »

Et lui-même écrit :

« Je ne marchande pas pour un morceau de pain ; mon père ne m’a jamais appris à manger à n’importe quel prix. »

mohammad-najafi-iran-csdhiLa justice en cage : analyse juridique

L’affaire de Mohammad Najafi illustre une violation systématique du droit international des droits humains.
Au titre des engagements de l’Iran :

  • Article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) : interdiction de la détention arbitraire

  • Article 10 : traitement humain des prisonniers

  • Article 14 : droit à un procès équitable et à un avocat indépendant

  • Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) : liberté d’expression et d’opinion

Ses multiples poursuites et sa radiation constituent une violation manifeste de ces principes, démontrant comment le système judiciaire iranien criminalise la défense même de la justice.

Réactions internationales : la voix du monde pour un avocat réduit au silence

La persécution de Mohammad Najafi a suscité une large condamnation internationale. Des organisations telles que Lawyers for Lawyers, l’Institut des droits humains de l’Association internationale du barreau (IBAHRI) et Front Line Defenders ont appelé l’Iran à mettre fin au harcèlement judiciaire et à rétablir son droit d’exercer.

Dans une déclaration publiée le 29 janvier 2024, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme exhortait l’Iran à « respecter et protéger les avocats » :

« Nous sommes profondément préoccupés par les arrestations, détentions et poursuites arbitraires visant les avocats en Iran. Ils jouent un rôle essentiel dans la protection de l’état de droit et du droit à un procès équitable, et pourtant, beaucoup sont emprisonnés ou radiés pour avoir exercé leur profession. »

Parmi les signataires figuraient Javaid Rehman, ancien rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains en Iran, et Margaret Satterthwaite, rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats.

Sa voix depuis la prison

Depuis Evine, en août 2025, Mohammad Najafi écrivait :

« La paix au lieu de l’insulte, la compassion au lieu du fouet, les fleurs au lieu des balles. »

Ces mots ne sont pas de simples vers, mais une déclaration morale — un rappel que même derrière les barreaux, l’esprit humain peut encore parler au nom de la justice.

L’histoire de Mohammad Najafi est celle de deux justices :

  • la justice du pouvoir, qui punit les défenseurs du droit ;

  • et la justice de la conscience, qui survit derrière les murs des prisons.

« Je ne brûle pas pour mon permis d’exercer ; je brûle pour l’amour de mon peuple. »

Appel urgent à l’action

La communauté internationale, les organisations de défense des droits humains et les barreaux du monde entier doivent exiger la libération immédiate et inconditionnelle de Mohammad Najafi, ainsi que la protection de l’indépendance du barreau en Iran. Sa détention et sa radiation représentent une grave violation des droits humains et un avertissement à tous les avocats qui croient en la justice.

Défendre Mohammad Najafi, c’est défendre la justice elle-même.

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