Le koulbari, dernier recours pour survivre
Dans les montagnes de l’ouest de l’Iran, le koulbari — cette pratique consistant à transporter à pied de lourdes marchandises à travers la frontière — est devenu le dernier moyen de subsistance pour des dizaines de milliers de personnes. Autrefois une forme de commerce informel, il est aujourd’hui l’un des symboles les plus frappants de la pauvreté, de l’inégalité et de l’abandon de l’État sous le régime iranien.
Bien que les autorités ne publient aucune statistique officielle, les organisations de défense des droits humains estiment que plus de 70 000 personnes dans les provinces du Kurdistan, de Kermanshah et d’Azerbaïdjan occidental dépendent du koulbari pour survivre.
Beaucoup sont de jeunes hommes, parfois diplômés d’université, confrontés à un chômage total dans des régions depuis longtemps délaissées par les politiques économiques de Téhéran.
La route mortelle de la survie
Les Koulbars traversent des sentiers montagneux escarpés et glacés, souvent sous des températures inférieures à –10 °C, transportant des charges pouvant atteindre 60 kilogrammes. Leur vie est constamment menacée : chutes, avalanches, engelures, ou tirs des gardes-frontières.
Selon les données des organisations de défense des droits humains, entre 2012 et octobre 2025, au moins 2 574 kolbars ont été tués ou blessés le long des frontières occidentales de l’Iran — dont 656 morts et 1 918 blessés. La tendance générale est à la hausse, avec un pic entre 2017 et 2024.
L’année 2023 a enregistré le plus grand nombre de victimes, suivie d’une légère baisse en 2025 — non pas en raison d’une amélioration des conditions, mais du renforcement militaire des frontières.
Militarisation plutôt que réforme
Depuis 2023, les autorités iraniennes ont multiplié les postes militaires, installé des barbelés et bloqué les routes traditionnelles à travers les montagnes. Ces mesures n’ont rien résolu : elles ont simplement poussé les kolbars à emprunter des chemins encore plus dangereux et isolés, augmentant le risque de mort.
En parallèle, le régime a instauré un système de “cartes de passage frontalier”, censé autoriser les habitants à transporter des biens dans des zones désignées. Mais pour les travailleurs et les militants, ce dispositif n’est qu’une façade : aucune assurance, aucune protection juridique, aucune véritable aide économique.
Face à la corruption et aux quotas restrictifs, nombre de kolbars sont contraints de retourner vers les routes illégales et mortelles.
Les défenseurs des droits humains estiment que ce système de cartes est un outil de contrôle économique et social, destiné à maintenir la dépendance des habitants frontaliers envers le régime et à étouffer toute revendication de droits économiques réels.
Le symptôme d’une pauvreté structurelle
Les experts économiques décrivent le koulbari comme le résultat direct d’une pauvreté structurelle et d’une discrimination régionale. Les provinces frontalières de l’ouest comptent les taux de chômage les plus élevés et les niveaux de développement les plus faibles du pays. Les usines y sont rares, les projets d’infrastructure inachevés depuis des années. Pour des milliers de familles, le koulbari n’est pas un choix, mais la seule source de revenus.
Depuis quatorze ans, la réponse de l’État est restée la même : répression systématique.
La flambée des morts en 2023 et la prétendue “baisse” en 2025 traduisent non une amélioration, mais la fermeture des routes traditionnelles par la militarisation. À chaque nouvelle restriction, les koulbars empruntent des chemins plus périlleux — falaises, champs de mines, crêtes gelées — pour survivre.
Silence, déni et censure
Le régime iranien ne publie aucun chiffre sur le nombre de koulbars, leurs décès ou la nature des marchandises transportées. Les seules informations disponibles proviennent des enquêtes de terrain, des témoignages de familles et des rapports d’ONG, révélant la volonté délibérée du régime de censurer et de “sécuriser” le sujet.
Les analystes rappellent que le koulbari n’est pas un métier, mais une forme de coercition.
À travers des dispositifs comme la carte frontalière, le régime institutionnalise la dépendance et réprime toute contestation.
Comme le résume un observateur :
« Un homme qui devient koulbar ne réclame plus rien à l’État — il est trop occupé à rester en vie. »
Des enfants parmi les victimes
Ces dernières années, même des enfants et des adolescents ont été contraints de devenir koulbars.
Les organisations de défense des droits humains ont documenté des cas de mineurs tués ou blessés.
Tandis que les médias d’État qualifient les koulbars de « contrebandiers », pour les communautés frontalières, le kolbari incarne la vie elle-même — une vie sans sécurité, sans assurance, sans avenir.
Une plaie nationale ignorée
Malgré des années de critiques de la société civile et des militants locaux, le régime n’a proposé aucune solution réelle. Au contraire, il a approfondi son approche militarisée, transformant les régions frontalières en zones de sécurité plutôt qu’en pôles de développement.
Alors que la pauvreté, la répression et la négligence continuent de se croiser, le koulbari est devenu le miroir d’un État qui a abandonné ses citoyens, criminalisant leur survie tout en leur refusant la dignité.
Dans l’Iran d’aujourd’hui, le koulbari n’est pas un emploi — c’est une condamnation. Et tant que la pauvreté structurelle et les inégalités régionales persisteront, des milliers continueront à marcher sur ces sentiers gelés entre la vie et la mort, portant sur leurs épaules non seulement des marchandises, mais aussi le poids insoutenable d’un État en faillite.

.jpeg)

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire