mercredi 23 septembre 2020

Des ONG demandent à l’ONU d’enquêter sur le massacre de 1988 en Iran

Vingt et un groupes de défense des droits humains ont lancé un appel aux Nations Unies pour qu’elles ouvrent une enquête sur le massacre des prisonniers politiques en Iran en 1988.

Le massacre de 1988, qui a conduit à l’exécution de plus de 30 000 prisonniers politiques, principalement des membres de l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI), une organisation d’opposition, n’a jamais fait l’objet d’une enquête et les auteurs n’ont jamais été traduits en justice.

Voici le texte intégral de la déclaration des 21 ONG :


Source : https://undocs.org/A/HRC/45/NGO/139
A/HRC/45/NGO/139
Distr : Générale
14 septembre 2020

Conseil des droits de l’homme
Quarante-cinquième session

14 septembre-2 octobre 2020
Point 3 de l’ordre du jour

Promotion et protection de tous les droits humains, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement

Déclaration écrite conjointe* présentée par Nonviolent Radical Party, Transnational and Transparty, une organisation non-gouvernementale dotée du statut consultatif général, Women’s Human Rights International Association, Edmund Rice International Limited, France Libertes : Fondation Danielle Mitterrand, organisations non gouvernementales dotées du statut consultatif spécial, International Educational Development, Inc. organisation non gouvernementale inscrite sur la liste

Il est temps de traduire en justice les auteurs du massacre de 1988 en République islamique d’Iran

Nous demandons à l’Organisation des Nations unies (ONU) et à ses États membres d’enquêter sur le massacre des prisonniers politiques en République islamique d’Iran en 1988 et de demander des comptes aux auteurs de ce « crime contre l’humanité ».

Le massacre de 1988

Suite à une fatwa prononcée par le Guide Suprême, l’Ayatollah Khomeiny, à la mi-juillet 1988, plus de 30 000 prisonniers politiques, principalement affiliés à l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI), ont été secrètement exécutés en masse pendant plusieurs mois, à l’issue de parodies de procès ne durant que cinq minutes. Leurs cadavres ont été aspergés de désinfectant, emballés dans des camions réfrigérés et enterrés la nuit dans des fosses communes à travers le pays.

Appel à la responsabilité et à la justice

Le 17 juillet 2020, Morgan Ortagus, porte-parole du Département d’État des États-Unis, a appelé la communauté internationale à mener des enquêtes indépendantes sur le massacre de 1988 et à rendre justice.

Elle a déclaré : « Le 19 juillet marque l’anniversaire du début des « commissions de la mort » en Iran. Sur ordre de l’Ayatollah Khomeiny, ces commissions auraient fait disparaître par la force, et exécuté de manière extrajudiciaire, des milliers de prisonniers politiques dissidents. L’actuel chef du pouvoir judiciaire iranien et l’actuel ministre de la Justice ont tous deux été identifiés comme d’anciens membres de ces « commissions de la mort ». Le pouvoir judiciaire est largement perçu comme manquant d’indépendance et de garanties de procès équitable, et les tribunaux révolutionnaires sont particulièrement flagrants dans leurs ordonnances de violation des droits de l’homme. Tous les responsables des mollahs qui commettent des violations des droits humains ou des abus devraient être tenus responsables. Les Etats-Unis appellent la communauté internationale à mener des enquêtes indépendantes et à rendre justice aux victimes de ces horribles violations des droits humains organisées par le régime des mollahs. »

Les organisations non-gouvernementales (ONG) enquêtent sur le massacre de 1988
Une enquête menée en 2017 par l’ONG londonienne Justice for the Victims of the 1988 Massacre in Iran (JVMI) a révélé l’identité de 87 membres de la Commission de la mort. Nombre d’entre eux occupent toujours des postes de haut niveau au sein du système judiciaire ou du gouvernement iranien. Parmi eux figurent le chef du pouvoir judiciaire, Ebrahim Raïssi, et le ministre de la Justice, Alireza Avaei.

En 2018, Amnesty International a également enquêté sur le massacre, soulignant que Khomeiny a pris la décision de commettre ce crime contre l’humanité dès qu’il a été contraint d’accepter un cessez-le-feu soutenu par les Nations unies dans la guerre Iran-Irak.

Dans son rapport « Secrets maculés de sang : Pourquoi les massacres de 19887 dans les prisons iraniennes sont des crimes contre l’humanité qui se poursuivent toujours », Amnesty International a demandé aux Nations unies de mettre en place une enquête indépendante pour aider à traduire les responsables en justice.
Les conclusions du rapporteur spécial

En 2017, la précédente rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, Asma Jahangir, a informé l’Assemblée générale4 :
« Entre juillet et août 1988, des milliers de prisonniers politiques, hommes, femmes et adolescents, auraient été exécutés en vertu d’une fatwa émise par le Guide Suprême de l’époque, l’Ayatollah Khomeiny. Une commission de trois hommes aurait été créée afin de déterminer qui devait être exécuté. »

« Au fil des ans, un grand nombre de rapports ont été publiés sur les massacres de 1988. Si le nombre de personnes qui ont disparu et ont été exécutées peut être contesté, des preuves accablantes montrent que des milliers de personnes ont été sommairement assassinées. Récemment, ces meurtres ont été reconnus par certains au plus haut niveau de l’État. Les familles des victimes ont le droit de connaître la vérité sur ces événements et le sort de leurs proches sans risquer de représailles. Elles ont droit à un recours, qui comprend le droit à une enquête efficace sur les faits et à la divulgation publique de la vérité ainsi que le droit à une réparation. »

Le 26 février 2018, le Secrétaire général António Guterres a déclaré au Conseil des droits de l’homme5 :

« Le HCDH a continué à recevoir des lettres des familles des victimes qui ont été sommairement exécutées ou ont disparu par la force lors des événements de 1988. Le Secrétaire général reste préoccupé par la difficulté qu’ont eue les familles à obtenir des informations sur les événements de 1988 et par le harcèlement dont sont victimes ceux qui continuent de réclamer des informations complémentaires sur ces événements. »

Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a déclaré aux ONG le 9 mars 2018 :

« Le massacre de 1988, les allégations de massacres en 1988, les exécutions sommaires et les disparitions forcées de milliers de prisonniers politiques – hommes, femmes et enfants – nous avons reçu beaucoup d’informations de votre part. … Et les recommandations ont été faites aux autorités nationales pour qu’elles mènent des enquêtes indépendantes et impartiales, compte tenu bien sûr de toute l’attention accordée à ce sujet par les familles des victimes. »

Un massacre en cours

La fatwa émise par le Guide Suprême de l’Iran n’a jamais été annulée. Le 25 juillet 2019, dans un entretien avec le magazine officiel Mosalas, Mostafa Pour-Mohammadi, conseiller du chef du pouvoir judiciaire et ancien membre des commissions de la mort, a défendu le massacre de 1988 et a déclaré que les militants de l’OMPI nouvellement arrêtés risquaient la peine capitale.

Des milliers de prisonniers politiques risquent d’être exécutés aujourd’hui

En août 2020, le prisonnier politique Mostafa Salehi a été exécuté par la justice iranienne pour son rôle lors des manifestations antigouvernementales de 2018. Il était l’un des nombreux manifestants à avoir été condamné à mort au cours des derniers mois. Des milliers d’autres manifestants risquent également d’être exécutés secrètement dans les prisons du pays.

Depuis la reprise des manifestations en novembre 2019, les autorités iraniennes ont mené la répression la plus sanglante contre les manifestants depuis la révolution islamique de 1979.

Reuters a rapporté le 23 décembre 2019 : « Après des jours de protestations dans tout l’Iran le mois dernier, le Guide Suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, semblait impatient. Rassemblant ses hauts responsables de la sécurité et du gouvernement, il a émis un ordre : Faites tout ce qu’il faut pour les arrêter. … Environ 1 500 personnes ont été tuées en moins de deux semaines lors de troubles qui ont commencé le 15 novembre. »

Les groupes de défense des droits de l’homme estiment que pas moins de 12 000 manifestants ont été arrêtés.

Le 6 décembre 2019, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a exprimé son inquiétude face au traitement réservé à des milliers de détenus, ainsi qu’aux arrestations continues qui auraient lieu dans tout le pays.

Le Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a souligné qu’au moins 7 000 personnes auraient été arrêtées en Iran depuis que des manifestations de masse ont éclaté le 15 novembre, et la Haut-Commissaire a déclaré qu’elle était « extrêmement préoccupée par le traitement physique réservé à ces personnes, les violations de leur droit à un procès équitable et la possibilité qu’un nombre important d’entre elles soient accusées d’infractions passibles de la peine de mort, en plus des conditions dans lesquelles elles sont détenues. »

« Plusieurs manifestants arrêtés n’ont pas eu accès à un avocat, ce qui signifie que les procédures régulières ne sont pas respectées », a déclaré Bachelet.

Les autorités iraniennes ont menacé d’exécuter les manifestants détenus. Le Wall Street Journal a publié un article le 24 novembre 2019 :

« Nous avons attrapé tous les mercenaires qui ont explicitement avoué qu’ils étaient des mercenaires des Etats-Unis et de l’OMPI, a déclaré dimanche à Téhéran Ali Fadavi, commandant adjoint du Corps des gardiens de la révolution islamique (pasdaran), à des journalistes, faisant mention à un groupe d’opposition en exil qui cherche à renverser les dirigeants de Téhéran. »

« ‘Le système judiciaire leur donnera la peine maximale’ », a déclaré M. Fadavi, a rapporté l’agence de presse ISNA.

En direct à la télévision le 14 janvier 2020, Ahmad Alamolhoda, représentant du Guide Suprême de l’Iran dans la province de Khorasan Razavi, a décrit les manifestants anti-gouvernementaux comme la « cinquième colonne » de l’ennemi et a déclaré qu’ils devraient être exécutés après des parodies de procès.

L’heure est à l’action internationale

Les crimes contre l’humanité ne sont pas soumis à la prescription, et même si le massacre de 1988 a été perpétré il y a 32 ans, il est toujours passible de poursuites aujourd’hui. Les responsables iraniens affirment effrontément que la fatwa de Khomeiny est toujours en vigueur contre les dissidents de l’OMPI. Les auteurs du massacre de 1988 dirigent aujourd’hui le gouvernement et le pouvoir judiciaire iraniens. Les survivants au massacre sont toujours en vie, et les preuves sont toutes facilement accessibles.

Au nom de nos ONG respectives, nous demandons au Conseil des droits de l’homme de prendre des mesures urgentes pour mettre fin à l’impunité dont jouissent les responsables iraniens et empêcher le massacre des manifestants détenus. Les dirigeants du gouvernement iranien doivent faire face à la justice pour avoir commis des crimes contre l’humanité lors de la récente répression massive et des effusions de sang.

Nous pensons que tant que la communauté internationale ne demandera pas aux auteurs du massacre de 1988 de rendre des comptes, les autorités iraniennes continueront à être encouragées à poursuivre la répression en toute impunité contre les manifestants actuels. Les responsables iraniens interprètent le silence et l’inaction de la communauté internationale comme un feu vert pour poursuivre et intensifier leurs crimes.

Nous demandons donc au Conseil des droits de l’homme de mettre en place une commission d’enquête sur le massacre de 1988 et de rendre justice aux victimes de ce crime contre l’humanité.

Nous demandons instamment à la haute-commissaire Michelle Bachelet de soutenir le lancement de missions d’enquête indépendantes sur le massacre de 1988 et le récent massacre de manifestants iraniens.

En outre, nous demandons aux procédures spéciales des Nations unies, en particulier au Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, Javaid Rehman, et au Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, des réparations et des garanties de non-répétition, Fabian Salvioli, d’enquêter sur le massacre de 1988 en Iran dans le cadre de leur mandat.

HANDS OFF CAIN, Nouveaux Droits de l’Homme (France), Justice for Victims of 1988 Massacre in Iran (JVMI), Association des femmes Iraniennes en France (AFIF), Comité de Soutien aux Droits de l’Homme en Iran (CSDHI), Association delle Donne Democratiche Iraniane in Italia, Association of Anglo-Iranian Women in the UK, Iran Libero e Democratico (Italie), Association des jeunes Iraniens en Suisse, Association des Refugiés politiques en France, Associazione Medici e Farmacisti Democratici Iraniani in Italia, Association des jeunes Iraniens pour la démocratie et la liberté-Luxembourg, Association IranRef (Belgique), Iranska Kvinnosamfundet i Sverige (Suède), Anglo-Iranian Professionals, Association of Iranian Political Prisoners-UK, ONG(s) sans statut consultatif, partagent également les vues exprimées dans cette déclaration.

1 https://twitter.com/statedeptspox/status/1284216751941652484
2 https://iran1988.org/new-report-published-1988massacre-iran-evidence-crime-humanity/
3 https://www.amnesty.org/en/documents/mde13/9421/2018/en/
4 https://undocs.org/A/72/322
5 https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session37/Documents/A_HRC_37_24.docx
6 https://youtu.be/uAo6w1QOFqw
7 https://www.reuters.com/article/us-iran-protests-specialreport/special-report-irans-leader-orderedcrackdown-on-unrest-do-whatever-it-takes-to-end-it-idUSKBN1YR0QR
8 https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25393&LangID=E
9 https://www.wsj.com/articles/iran-restores-internet-access-as-protests-subside-but-threatens-morearrests-11574618022

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