vendredi 29 août 2025

Les disparitions forcées en Iran : du massacre de 1988 au soulèvement de 2022 et aux prisons d’aujourd’hui , À l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées

 Chaque 30 août, la Journée internationale des victimes de disparitions forcées rend hommage aux milliers de personnes arrachées à leurs familles dans le silence et le déni d’État. La « disparition forcée » désigne une arrestation, un enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté opérée par des agents de l’État — ou avec son autorisation — suivie du refus de reconnaître cette détention ou de révéler le sort ou le lieu de la personne disparue.

En Iran, ce crime organisé perdure depuis les années 1980 : du massacre de 1988 aux arrestations massives du soulèvement de 2022, jusqu’aux cas actuels dans les prisons du pays.

Méthodologie et portée du rapport

Ce rapport s’appuie sur des témoignages de familles et de survivants, des archives documentaires, des enquêtes d’Amnesty International et de la Société iranienne des droits humains, des sources médiatiques et des recherches ouvertes. Chaque allégation est corroborée par au moins deux sources indépendantes lorsque cela est possible.

Par souci d’éthique, l’anonymat a été préservé lorsque nécessaire, et le consentement a été recherché. L’accès aux prisons et aux sites présumés de fosses communes étant bloqué, de nombreux obstacles subsistent : intimidations des familles, destruction ou mise sous clôture de preuves.

L’analyse suit le Protocole du Minnesota (2016) sur l’enquête des décès potentiellement illégaux.

Cadre juridique

Partie I — Le massacre de 1988

À l’été 1988, des milliers de prisonniers politiques furent exécutés sommairement puis enterrés dans des fosses communes secrètes. Les familles n’ont jamais été informées du sort de leurs proches et n’ont pas pu organiser de funérailles. Le cimetière de Khavaran reste un symbole de ce crime, malgré la dissimulation, les pressions et la destruction de preuves.

Au regard du droit international, ces exécutions de masse constituent des disparitions forcées et des crimes contre l’humanité. Le déni persistant de l’Iran viole ses obligations, même sans adhésion formelle à la CIPPDF.

Partie II — Le soulèvement de 2022

1) Schémas de disparition forcée

Arrestations arbitraires dans les rues ou à domicile, sans notification aux familles.

Transferts vers des lieux secrets de détention (ex. « secteur 59 » et « secteur 66 »).

Isolement prolongé, sans visites ni appels.

Appels téléphoniques rares et surveillés, utilisés comme outil de torture psychologique.

Enterrements clandestins ou restitution tardive des corps aux familles.

2) Groupes ciblés

Jeunes et mineurs (ex. Mehdi Mahmoudi, 17 ans ; Saleh Bahramzehi, 16 ans).

Femmes opposées au port obligatoire du voile.

Minorités ethniques et religieuses, notamment Kurdes et Baloutches.

Journalistes, universitaires, défenseurs des droits humains.

Binationaux (ex. Ahmadreza Djalali).

3) Méthodes systématiques

Isolement utilisé comme instrument de disparition.

Transferts « hors radar » échappant à tout contrôle judiciaire.

Non-communication avec les familles.

Usage de la disparition comme prélude à la torture et aux aveux forcés.

4) Conséquences

En 2022, la disparition forcée a été un outil central de la répression, destiné à instaurer la peur, imposer des normes sociales (comme le hijab obligatoire) et maintenir un contrôle politique.

Partie III — Pratiques actuelles en prison

Bijan Kazemi : plus de sept mois sans contact après transferts répétés vers des centres sécuritaires à Qom.

Arghavan Fallahi : appels interrompus après un transfert d’Evin à Qezel Hesar, puis déplacée à Qarchak, toujours incommunicado.

Cinq prisonniers politiques condamnés à mort — Pouya Ghobadi, Vahid Beni-Amerian, Shahrokh Daneshvarkar, Babak Alipour et Mohammad Taghavi — placés deux semaines à l’isolement à Qezel Hesar, totalement coupés de leurs familles, avant d’être transférés au quartier politique.

Ali Younesi : plusieurs mois de disparition avant confirmation de sa détention à Qezel Hesar.

Partie IV — Réactions internationales et mouvement pour la justice

ONU, Assemblée générale (1988) : première expression de préoccupation face aux exécutions.

Rapporteurs spéciaux (2017) : inclusion détaillée du massacre de 1988.

Asma Jahangir (2017-2018) : appels répétés à une enquête indépendante.

Experts de l’ONU (2020) : qualification possible en crimes contre l’humanité, crime en cours tant que le sort des disparus n’est pas révélé.

ONG (Amnesty, HRW, 2021) : plaidoyer pour une commission d’enquête internationale.

Procès Hamid Nouri en Suède (2022) : condamnation historique à perpétuité sur la base de témoignages de survivants, établissant un précédent en matière de justice universelle.

Impact humain et social

Les disparitions forcées infligent une torture psychologique continue aux familles : des décennies d’incertitude, l’interdiction de deuil, les menaces et le harcèlement. Dans les prisons, l’interruption des communications plonge les proches dans la détresse psychologique et la précarité financière.

Au-delà des individus, cette politique vise à briser la société, instiller la peur et étouffer toute résistance collective.

Responsabilité et recours

  • Publication immédiate des listes de détenus et lieux de détention.
  • Protection internationale des sites de fosses communes (Khavaran, etc.).
  • Coopération pleine et entière avec le WGEID, le CED et la mission d’enquête de l’ONU sur l’Iran.
  • Poursuites judiciaires des responsables au titre de la compétence universelle.
  • Vérité, réparations et garanties de non-répétition pour les familles.
  • Fin du harcèlement des proches et respect du droit au deuil et au rassemblement.

Conclusion et appel à l’action

La disparition forcée en Iran n’est pas un accident, mais une politique délibérée et toujours en cours. De Khavaran au soulèvement de 2022, jusqu’aux prisons actuelles, des milliers de familles vivent dans l’incertitude et la souffrance.

Nous appelons le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le WGEID, le CED et tous les États attachés à la justice à :

  • lancer une enquête internationale indépendante,
  • protéger les fosses communes,
  • poursuivre les responsables,
  • garantir vérité, justice et réparations pour les familles.

Tant que la vérité ne sera pas établie et la justice rendue, la disparition forcée restera un crime permanent.

Tableau synthétique – ordre chronologique

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