Une mort qui brise le silence
Il avait caché sa maladie par crainte d’être expulsé du service de travail et de perdre l’accès — déjà extrêmement limité — à certaines commodités de base. Dans le système carcéral iranien, être écarté du service de travail signifie perdre des « privilèges » tels qu’une nourriture légèrement meilleure ou un accès restreint au téléphone. Sa mort silencieuse illustre la manière dont le régime iranien considère la vie des prisonniers : comme une ressource jetable.
Le service de travail de Qezel Hesar : de la réhabilitation à la contrainte
Qezel Hesar est l’une des plus vastes et des plus surpeuplées prisons d’Iran, hébergeant plusieurs dizaines de milliers de détenus. Des milliers d’entre eux sont contraints de travailler chaque jour dans des ateliers industriels administrés par l’appareil sécuritaire du régime — notamment par les Gardiens de la Révolution (Pasdaran) — via la Fondation coopérative des prisonniers.
Présenté officiellement comme un programme de « réinsertion », ce service de travail fonctionne en réalité comme un camp de travail forcé. Les prisonniers y sont astreints à des journées entières, de l’aube au soir, souvent après avoir reçu du méthadone — une pratique surnommée « le carburant » — destinée à les maintenir dociles et obéissants.
Les comptages quotidiens, la surveillance humiliante et le mépris total des besoins médicaux illustrent le caractère déshumanisant de ce système.
Un détenu témoigne :
« Chaque matin, ils nous comptent comme du bétail. Nous devons remettre nos cartes pour avoir le droit de sortir du dortoir. Nous ne sommes plus des noms, seulement des numéros et des codes-barres. »
L’économie carcérale : exploitation et salaires dérisoires
Au fil des années, Qezel Hesar est devenu un centre de production au service de la Fondation coopérative des prisonniers, fabriquant vélos, tentes, textiles, tapis et pièces automobiles.
Les prisonniers perçoivent entre 500 000 et 2 millions de tomans par mois, soit à peine un dixième du salaire minimum légal en Iran. La majeure partie des bénéfices est captée par les responsables pénitentiaires et la Fondation, tandis que les détenus sont privés d’assurance et de toute protection sanitaire.
Nombre d’entre eux sont contraints d’accepter ces emplois sous la promesse de réductions de peine ou de prétendus « points de bien-être », qui ne se concrétisent presque jamais.
Dépendance et humiliation
La dépendance aux drogues est volontairement entretenue au sein du service de travail. Les autorités pénitentiaires distribuent méthadone et sédatifs pour maintenir les prisonniers dans un état de soumission.
Selon des sources crédibles, plus de 90 % des détenus de ce service sont dépendants à des substances contrôlées. Cette dépendance, associée à la contrainte économique et à l’humiliation quotidienne, ne laisse aucune place à la protestation ou à la résistance.
Bahman Karamlou fut l’une de ces victimes réduites au silence — usé jusqu’à l’épuisement, privé de soins, puis oublié.
Violations du droit international
Le travail forcé dans les prisons iraniennes constitue une violation flagrante de plusieurs dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits humains :
Article 3 – Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité ;
Article 4 – Interdiction de l’esclavage et du travail forcé ;
Article 5 – Interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
Article 23 – Droit à des conditions de travail justes et favorables ;
Article 25 – Droit à un niveau de vie suffisant,
de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Les Règles Nelson Mandela stipulent clairement que le travail en prison doit être volontaire, sûr et orienté vers la réinsertion — des principes que le régime iranien foule ouvertement aux pieds.
Des prisons transformées en centres de profit
Les prisons iraniennes ne sont plus des institutions correctionnelles, mais des entreprises à but lucratif.
La Fondation coopérative des prisonniers gère plus de 700 établissements à travers le pays, employant environ 100 000 détenus. Pourtant, ceux-ci ne perçoivent qu’une infime part des revenus, l’essentiel étant détourné vers des organismes liés au pouvoir et des responsables officiels. Ce système alimente une économie parallèle fondée sur le travail forcé et l’exploitation de travailleurs captifs.
Dimensions humaines et sociales
Le système de travail forcé détruit non seulement la vie des détenus, mais aussi celle de leurs familles, souvent dépendantes des maigres revenus issus de ce travail. Beaucoup de prisonniers, notamment ceux incarcérés pour des délits financiers, sont avant tout des victimes de la pauvreté.
Dans l’univers carcéral iranien, cette pauvreté est exploitée et transformée en asservissement physique et psychologique. La mort de Bahman Karamlou met à nu le coût humain de cette exploitation.
Réactions internationales et appel à l’action
Les organisations internationales de défense des droits humains — Amnesty International, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, et les Rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la situation en Iran — ont maintes fois dénoncé les conditions de détention et le recours au travail forcé dans les prisons iraniennes. Les rapports récents assimilent ces pratiques à une forme moderne d’esclavage et à une violation directe des Règles Nelson Mandela.
La communauté internationale doit exiger des inspections indépendantes des prisons iraniennes et tenir les responsables pour comptables de ces abus. Tant que ce système perdurera, chaque produit issu des ateliers pénitentiaires iraniens portera la marque de la souffrance et du silence de ceux qui y sont réduits en esclavage.
Poursuite de la série
La mort de Bahman Karamlou à Qezel Hesar n’est qu’un exemple parmi d’autres du travail forcé dans les prisons iraniennes.
Les prochains volets de cette série documenteront l’exploitation des détenus dans d’autres établissements — notamment à Ispahan, Ourmia, Sheiban (Ahwaz) et Qarchak Varamin — afin de révéler toute l’ampleur de ce système national de coercition et d’abus.


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