La classe moyenne en voie de disparition
Les témoignages recueillis par Shargh dressent un tableau saisissant du déclin. Une jeune femme travaillant dans une entreprise privée a évoqué l’évolution de sa vie en quelques années seulement : « Quand je me compare à il y a quatre ans, tout est différent. Avant, j’allais au restaurant plusieurs fois par semaine, mais maintenant, je n’y vais qu’une fois par mois, et même là, ça me paraît trop cher. J’achetais toujours de bons produits de soin, mais aujourd’hui, je ne peux même plus m’offrir des produits de moindre qualité. Mon salaire est passé de cinq à trente millions de tomans, mais mon porte-monnaie n’a jamais été aussi vide. »
Son histoire reflète une tendance plus générale. Une jeune libraire de Téhéran, récemment mariée, a décrit comment même les plaisirs les plus élémentaires sont devenus inaccessibles : « Nous pensions pouvoir au moins nous permettre un voyage de noces. Nous avons économisé les cadeaux de notre mariage, mais les coûts n’ont cessé d’augmenter. Aujourd’hui, même un court séjour en Turquie est impossible. Nous avons tous les deux deux emplois, mais chaque jour est une question de survie. Nous sommes coincés au même endroit.»
Un couple de jeunes mariés a exprimé les mêmes frustrations. Bien qu’ils travaillent tous deux à temps plein, ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts: « Nous ne comprenons pas comment nos salaires s’envolent si vite. Avant, nous aimions manger au restaurant, mais c’est fini. Même un court séjour sur l’île de Kish nous a ruinés pour le reste du mois. Désormais, notre panier de courses s’est réduit au strict nécessaire : les snacks, le café et tout ce qui n’est pas vital ont disparu. Même les besoins de base du quotidien sont devenus un sujet d’angoisse. »
Peur, anxiété et coût de la survie
Au-delà de la crise économique, le choc psychologique est considérable. Nombre de jeunes vivent sous la menace permanente de la précarité. Un jeune employé d’une célèbre entreprise laitière a expliqué : « Je gagne plus qu’avant, mais je me sens plus pauvre. Avant, je suivais des cours de langue, j’allais à la salle de sport et je retrouvais des amis au café. Maintenant, j’ai arrêté tout ça, mais la vie est plus dure. Ma plus grande peur est d’arriver à la fin du mois sans un sou. Même si mon ordinateur portable tombe en panne, je serai ruiné, car je n’ai plus rien à économiser.»
Les psychologues confirment cette anxiété généralisée. Nasser Ghasemzadeh, expert en santé mentale interrogé par Shargh, a mis en garde : « Cette anxiété chronique ne touche pas seulement les individus, elle menace l’avenir de la société. Les jeunes repoussent le mariage et renoncent au projet d’avoir des enfants à cause du désespoir financier. Lorsque les gens ne peuvent pas subvenir à leurs besoins les plus élémentaires, l’espoir disparaît.»
Inégalités structurelles et négligence du régime
L’économiste Hossein Raghfar, proche du régime, a déclaré à Shargh que la crise reflétait un échec systémique : « Ce à quoi les jeunes sont confrontés aujourd’hui, ce n’est pas simplement de faibles revenus, mais une forme d’inégalité structurée et une négligence systémique des droits fondamentaux des citoyens.» Il a noté que l’inflation est devenue incontrôlable, citant une augmentation de 60 à 70 % du prix des voitures en un mois seulement.
Raghfar a souligné que, contrairement aux chefs d’entreprise qui peuvent ajuster les prix, les salariés de la classe moyenne ne peuvent pas suivre l’inflation. Par conséquent, « ils sont soumis à une pression économique constante, tandis que les plus pauvres souffrent encore plus. » Il a également averti que près de 26 % des jeunes de 15 à 25 ans ne sont ni étudiants, ni travailleurs, ni en formation. « Cette réalité engendre une génération vulnérable à la frustration, à la violence et à la criminalité. La colère des jeunes est dirigée contre les centres de décision, et ils ont raison de les considérer comme responsables de leur misère. »
Une génération sans avenir
La crise de l’accès au logement est le signe le plus clair du désespoir. Comme l’explique Raghfar : « Aujourd’hui, les jeunes ne peuvent ni acheter un logement, ni même en louer un. Avec des emplois précaires, l’inflation et l’absence de sécurité économique, ils n’entrevoient aucun avenir. »
Même les loisirs, autrefois essentiels à la vie de la classe moyenne, ont disparu. Un jeune enseignant qui voyageait régulièrement à l’étranger a déclaré : « Jusqu’à l’année dernière, je me suis rendu en Turquie plus de sept fois. Aujourd’hui, même le voyage le moins cher est impossible. Nos salaires sont plus élevés, mais notre qualité de vie s’est empirée. Nous avons même dû abandonner notre colocation, car le loyer est devenu inabordable. »
Effondrement de la confiance et de l’espoir social
Les témoignages révèlent plus que des luttes individuelles : ils révèlent un effondrement générationnel. Comme l’a souligné Raghfar, « La classe moyenne jouait autrefois un rôle actif dans la vie publique. Aujourd’hui, écrasée par les pressions économiques et convaincue de son impuissance, elle est dépolitisée. Elle ne voit aucun signe que les autorités se soucient de son sort.»
Cet abandon a des conséquences profondes : les jeunes Iraniens perdent confiance non seulement en leur avenir personnel, mais aussi en celui de leur société. Comme l’a souligné Ghasemzadeh, « Un jeune qui vit sous la menace permanente de la précarité ne peut pas bâtir des projets pour son venir. Cette anxiété chronique n’est pas seulement un problème individuel, elle menace l’avenir de la nation toute entière.»
Le rapport de Shargh se concentre uniquement sur la classe moyenne. Les déciles inférieurs de la société sont encore plus mal lotis, incapables de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Ce déclin continu de l’économie et cette progression de la pauvreté sont imprégnés de la corruption du régime, un phénomène que le peuple iranien comprend parfaitement, comme en témoignent ses manifestations quotidiennes à travers le pays. Et ce n’est qu’une question de temps avant que la situation ne dégénère en un autre soulèvement national contre le régime dans son ensemble.
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